Life's a bitch (and "Fish tank" is a f***ing good movie)

Publié le par fredastair

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Fish tank, de Andrea Arnold (2009), avec Katie Jarvis, Michael Fassbender, Kierston Wareing, Chelsea Chase, Charlotte Collins, Harry Treadaway...

  COUP DE COEUR ABSOLU pour cette chronique adolescente dans la grisaille anglaise, repartie de Cannes 2009 avec un prix du jury. C'est peu dire que la distinction est méritée, même si on en aurait volontiers attribué de plus prestigieuses à ce chef-d'œuvre, à commencer par un prix d'interprétation féminine pour l'éblouissante révélation de la jeune Katie Jarvis, complète débutante repérée lors d'un casting sauvage. Il y a bien longtemps qu'on n'avait pas vu se déployer dans un long-métrage une telle puissance sous une apparente simplicité, une telle douceur sous un écrin si rugueux, une telle vérité sous couvert de fiction. Et pourtant. Triste banlieue où végètent et s'entassent des centaines de laissés-pour-compte, cellule familiale éclatée dont le quotidien se résume à des cris et à des disputes, gamine qui essaie de s'en sortir par la pratique de la danse... Jusque dans les premières images, où la caméra fébrile colle aux basques de son héroïne, Fish tank semble avancer sur un terrain balisé, déployant les archétypes du film social à l'anglaise (archétypes formels et thématiques) qu'on sent venir à des kilomètres. Un préjugé subtilement déjoué par le très beau titre du film : fish tank signifie ''aquarium'', définissant un espace clos et onirique où évolue la jeune Mia, dans sa bulle, dans son monde. Et en effet, ce qui importe ici, ce sont moins les gros sabots du ''film-en-colère'' british que la trajectoire chaotique d'une jeune fille paumée. Mia (Katie Jarvis) a quinze ans, la rage au ventre, se fait virer de toutes les écoles, cherche la bagarre auprès des racailles de son quartier, vomit des torrents d'insultes à sa jeune mère indigne (Kierston Wareing). Coincée dans  l'environnement morose de l'Essex, à l'Est de Londres, dans une vie sans horizon, elle n'a qu'un exutoire : l'art du breakdance, qu'elle pratique ardemment et pour lequel elle révèle un talent prometteur. Se produit en elle un véritable bouleversement émotionnel lorsque débarque Connor (Michael Fassbender), le nouveau boyfriend de sa mère, beau gosse plein de mystère au charme magnétique. Père de substitution, ami confident qui semble la comprendre, troublante incarnation d'une figure virile fantasmée, Connor est tout cela à la fois pour Mia, dont les repères se brouillent peu à peu.

Katie Jarvis. Holly Horner

La réalisatrice Andrea Arnold. Rankin

la réalisatrice Andrea Arnold


    L'intrigue pourrait virer au fait-divers politisé façon Ken Loach, ou au drame criminel et humain dans la veine des frères Dardenne, cinéastes auxquels on pense immédiatement face au style naturaliste de Fish tank – on pourrait rêver pires références... Cependant, le film nous emmène ailleurs, transcendant ces prestigieux modèles et son point de départ à la Billy Elliot (en plus rude, en moins sucré, malgré la thématique commune de la danse comme salut) et empruntant des chemins plus inattendus, moins faciles. Andrea Arnold, à l'origine de Red Road, également primé à Cannes il y a 3 ans, aborde son sujet avec une infinie délicatesse, dessinant le personnage de Mia par fines touches ; on finit par s'attacher à elle, par l'apprivoiser de la même façon que son entourage : avec prudence, pas à pas. L'empathie pour Mia se mérite, mais le jeu en vaut la chandelle : de la matière brute qu'elle travaille (l'ado rebutante, sauvage, désagréable), la cinéaste fait jaillir de l'or, au fil de douces séquences d'une beauté formelle sidérante, qui sont autant d'échappatoires, de respirations poétiques : une scène de pêche à la campagne nimbée d'un cocon de lumière protecteur, la vision quasi-fantastique d'un cheval blanc au milieu d'un terrain vague, les images lointaines d'un ballon ou d'une éolienne qui surplombent un paysage de marasme. Et surtout, surtout, ces moments superbes où Mia, dans les bras ou sur le dos de Connor, se laisse aller à une pure rêverie, un abandon total des sens, bercée par la respiration de l'homme. Une confusion magistralement mise en scène où s'entremêlent le retour à l'enfance, à l'innocence (besoin d'être protégée par une figure masculine forte) et une sensualité ambiguë qui préfigure le sentiment amoureux. Dans son traitement de l'adolescence et de ses élans fous, dans ces images charnelles et oniriques, Andrea Arnold fait preuve d'une sensibilité proche de celle d'un Gus Van Sant (en particulier de Paranoid Park). Les talents de la cinéaste ne s'arrêtent pas là, puisqu'elle révèle aussi un don exceptionnel pour la direction d'acteurs : professionnels ou non (on pense à la petite sœur de Mia, peste hallucinante d'1,20m qui jure comme un motard et a plus de répartie qu'un showman de stand-up confirmé), ils sont tous d'une véracité incroyable. Entre ses mains expertes, la jeune Katie Jarvis est une bombe, pur concentré de rage, d'énergie et de vérité, dont l'intensité peut exploser à chaque instant, mais qui sait devenir profondeur et maturité quand la situation l'exige. On retrouve également une Kierston Wareing impeccable (vue dans It's a free world, de... Ken Loach, tiens donc) et un Michael Fassbender au sommet. Ce dernier assoie son statut de future star (amorcé avec ses participations à 300, Hunger et Inglourious basterds), trouvant dans ce salaud de Connor un rôle en or : un bloc de masculinité et d'érotisme brut, une figure ambivalente et fascinante, constamment magnifiée par Andrea Arnold, par le regard que l'ado porte sur lui.

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            Kierston Wareing. Holly Horner        Holly Horner


    La cinéaste ne s'en tient pas là : en milieu de métrage, un évènement décisif, aussi brutal que soudain, scelle le dérapage irrémédiable de deux des personnages, lors d'une scène extrêmement audacieuse (le fameux ''faux-pas'' sur le canapé du salon). Dès lors, Fish tank opère un revirement complet et se lance à corps perdus dans de surprenants chemins de traverse, suivant Mia dans une fuite en avant sur les traces de Connor. Il y a un vrai risque à chambouler ainsi tout l'édifice du film, ouvragé avec tact jusqu'ici, dans cette course poursuite anxiogène et absurde dans les beaux quartiers résidentiels– d'ailleurs, au début, on ne suit pas vraiment Andrea Arnold, gêné par un rebondissement si étrange, qui se solde tout de même par le rapt éphémère d'une petite fille! Mais cette péripétie est chargée d'une telle intensité, d'une telle maestria, qu'on se laisse finalement embarquer sans problème, d'autant plus qu'elle s'intègre avec une parfaite logique au reste du film. On salue la démarche jusqu'au-boutiste d'Andrea Arnold, cette volonté forte de pousser les situations à l'extrême pour souligner l'instabilité de Mia, le caractère irréfléchi de l'adolescence, les tromperies, les cruautés et les déceptions de la vie – autant d'étapes qui dessinent avec grâce le parcours (forcément) initiatique de l'adolescente. Laquelle aura appris bien des choses : à aimer et à se méfier des hommes, à ne pas ''vendre'' son talent à de basses instances mercantiles (ici, un night-club misérable et racoleur qui veut l'engager comme gogo-danseuse), à dire « fuck » au superflu et à se resserrer autour d'enjeux essentiels... Le tout traité avec un manque total de lourdeur ou de didactisme, avec une finesse, une intelligence et une âpreté formidables : de l'art de dire beaucoup avec très peu de mots et d'effets. Les toutes dernières minutes, belles à pleurer, sonnent la réconciliation familiale (une scène de danse à trois, inoubliable), la maturité, l'apaisement enfin. Et le possible envol d'un petit oiseau qui, aguerri par toutes ses épreuves, peut s'éveiller à la vie, sortir de son ''aquarium'' sans se cogner à la vitre sale des HLM miteux. La musique aidant, qu'elle soit hip-hop ou non (une sélection idéale, entre le Life's a bitch de Nas et la reprise de California dreamin par Booby Woomack), on se laisse submerger par de délicieuses et puissantes vagues d'émotion. Que c'est beau, mon dieu, que c'est beau...

L'actrice aété castée sur un quai de gare.



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C
ExcellentJ'ai adoré (le mot est faible) ce film, le meilleur de l'année pour moi et qui aurait mérité une palme d'or, je partage donc entièrement ton avis. Sympa ton blog !
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