Lovely bones : Sucre glaçant

Publié le par fredastair

 

Lovely bones, de Peter Jackson (2009), avec Saoirse Ronan, Mark Wahlberg, Rachel Weisz, Stanley Tucci, Susan Sarandon, Rose McIver, Michael Imperioli...

 Peter Jackson revenant à un cinéma plus intimiste après la réussite éclatante de ses fresques démesurées? La belle promesse. Nouveau chef de file du cinéma à grand spectacle, le réalisateur néo-zélandais peut se targuer d'être l'homme de tous les défis : porter à l'écran la mythique trilogie de Tolkien, redonner vie au plus célèbre gorille du 7e Art... mais pas que. Parce que ses films ne se réduisent pas à leur ampleur de mastodonte ou à leur maîtrise parfaite des outils techniques les plus démentiels : il y a aussi chez Peter Jackson un souffle romanesque et une vraie vibration humaine, capables d'amener les scènes les plus hypertrophiées à des sommets d'émotion (remember ces frissons qui nous parcoururent délicieusement l'échine lors des meilleures empoignades du Seigneur des Anneaux et de King Kong). Des blockbusters à dimension d'homme, qui se démarquent aisément des produits-jeux vidéos sans âme d'un Michael Bay, d'un Stephen Sommers ou d'un Timur Bekmambetov. Et puis, avant de prendre les commandes de projets à 300 millions de dollars, Jackson n'avait-il pas déjà réalisé des films plus modestes, tels que Créatures célestes (pas vu), drame de l'adolescence sorti en 1996 et célébré partout dans le monde? Alors oui, le cinéaste pouvait délaisser les jungles luxuriantes et les cathédrales gothiques, s'installer dans une banlieue américaine aisée et réussir un bon film, une histoire plus classique de meurtre, de deuil et de réconciliation familiale. Le réussit-il? En (bonne) partie.

Lovely Bones

le réalisateur (amaigri) Peter Jackson et son actrice principale Saoirse Ronan


     Il est vrai que, passées l'annonce du projet et l'attente enthousiaste qui l'a suivie, il a fallu composer avec des premières bandes-annonces un peu hideuses (la jeune héroïne Susie coincée dans un paradis numérisé rose bonbeurk) et une réception critique calamiteuse (toute la presse française s'y est mise pour le descendre). Et pourtant... Et pourtant, Lovely Bones ne déçoit pas. On reproche à Peter Jackson d'être passé à côté de son sujet ; or, l'une des seules choses qu'on peut lui reprocher est plutôt d'avoir manqué, de peu, le grand film. Adapté d'un roman-best seller d'Alice Sebold, bizarrement rebaptisé La nostalgie de l'ange en français (on gagne en élégance ce qu'on perd en ironie morbide), Lovely Bones suit l'histoire de Susie Salmon, petite fille violée et assassinée par son voisin, qui continue d'exister en tant qu'esprit entre le monde des vivants et le monde des morts. Depuis cet entre-deux, matérialisé par une sorte de purgatoire fantastique à la fois chaleureux et inquiétant, Susie refuse de rejoindre le paradis et observe la vie qu'elle a laissée : sa famille inconsolable, son meurtrier en liberté, l'enquête policière qui patine... La représentation cinématographique de ce monde enchanté, ce point de vue post-mortem sur le récit : c'était, bien entendu, le pari le plus original et le plus risqué du film. Pourtant, Peter Jackson n'en fait pas l'essentiel de Lovely Bones et se concentre volontiers sur son versant plus "réaliste" : drame du deuil, rage du père vengeur, sombre thriller en immersion, parenthèse comique avec l'irruption d'une grand-mère rock n'roll... Le film démarre même comme une bluette adolescente toute simple nimbée de douceur, quelque part entre la sitcom clichetonneuse et la sensibilité d'un Gus Van Sant (période Elephant) ; le réalisateur, complètement revenu de la Terre du Milieu, y fait preuve d'un certain talent à poser, délicatement, les bases de cette vie ordinaire et émouvante que Susie aurait pu continuer de vivre (les parents lambda, la naïveté des premiers émois, les crises d'ado naissantes, la passion balbutiante pour la photographie). Ce qui, évidemment, donne encore plus d'impact au meurtre de la petite fille, un passage difficile que Jackson aborde de front, à travers les yeux de Susie : tout en restant sur le seuil de l'insoutenable, il parvient à rendre la scène à la fois déchirante et proprement terrifiante.

Lovely Bones

Lovely Bones


    C'est finalement sur ce terrain de la peur, de la tension et du suspense que Lovely Bones se montre le plus convaincant – un terrain sur lequel on n'attendait pas forcément Peter Jackson, mais où il excelle. Il y a même dans le film une obstination assez extrême à fouiller les ténèbres, à pénétrer dans les entrailles de la barbarie, sans rien nous épargner, pas loin du glauque, au bord du mauvais goût. Et, encore une fois, cette plongée s'opère sur un double versant : la fantasmagorie (les incroyables visions d'horreur de la Susie désincarnée, telle celle de la "salle de bain") et le thriller réaliste (la quotidien glaçant du meurtrier). Stanley Tucci s'empare modestement du rôle impossible du voisin pervers ; l'acteur s'en tire très bien, sur le fil entre la fausse bonhomie et la folie la plus putride. Côté drame familial, le cinéaste n'évite pas certaines maladresses, notamment dans le personnage intrusif de Susan Sarandon (absolument hilarante, cela dit) ou dans les chaudes couleurs de série télé avec lesquelles il nimbe le deuil. Cependant, l'honneur est sauf, car Jackson joue sur une palette d'émotions et de situations assez large pour être sincèrement touchante : la douleur, mais aussi la rage vengeresse, la détermination à percer la vérité, la vie qui recommence doucement, l'acceptation enfin. Outre Saoirse Ronan, débutante totalement craquante et qui a déjà tout d'une grande, les comédiens assurent dans les rôles principaux. Le couple Rachel Weisz-Mark Wahlberg ne fonctionne que par intermittences, mais, séparément, les deux acteurs s'en sortent dignement : elle, fidèle à elle-même, c'est-à-dire parfaite ; lui, faisant des efforts méritoires pour convaincre, et y parvenant plutôt bien (car, il faut le savoir : d'habitude, Mark Wahlberg joue comme une patate). Ici, il faut d'ailleurs éclaircir un point capital, à l'encontre de certains critiques vaseux qui, histoire de lui enfoncer encore plus la tête sous l'eau, ont voulu voir dans Lovely bones une justification de la justice personnelle et expéditive (type Clint Eastwood dans L'inspecteur Harry). Ce qui est, bien sûr, un contre-sens total puisque, dans la fameuse scène si décriée (Wahlberg, le papa de Susie, empoigne une batte de base-ball pour aller tabasser son voisin d'en face), la solution vengeresse est précisément condamnée : la violence se retourne contre celui qui a voulu la donner (Wahlberg se fait tabasser à son tour par deux jeunôts qui le prennent pour un pervers). La "solution" réellement préférable reste donc la reconstruction personnelle, l'acceptation (les jolies dernières minutes du film). Peter Jackson n'est pas un cinéaste léger-léger, ça a ses bons côtés comme ses mauvais : on peut donc s'étonner que certains journalistes "subtils" n'aient pas compris ce qu'il a voulu transmettre dans son film, alors qu'il le surligne de manière assez évidente...

Lovely Bones

 

Lovely Bones

Lovely Bones      Lovely Bones

    Cependant, Lovely bones est à double tranchant. D'un côté, le film de Peter Jackson possède une foule de grandes qualités dont celle, et pas des moindres, d'orchestrer des moments de suspense complètement déments (les scènes où le meurtrier traîne son coffre-fort dans la boue et où la soeur de Susie, en quête de preuve, s'introduit chez lui, ne manquent pas de marquer les esprits). D'un autre côté, il n'est pas exempt de maladresses : il faut le reconnaître, la partie "Susie au pays des merveilles" ne convainc pas vraiment, Jackson y faisant un usage immodéré d'effets spéciaux numériques très artificiels. On y retrouve les obsessions visuelles du réalisateur : grands espaces vierges, marécages poisseux, forêts automnales... Autant de motifs formellement superbes qui renverront les fans au bon souvenir du Seigneur des Anneaux. Mais lorsque le film se risque sur le terrain de la vision pure, il oscille entre la demie-fulgurance (les bateaux de verre se brisant sur les rives, Susie s'enfonçant dans les eaux, l'entre-deux-mondes brumeux qui rappelle les meilleurs moments du Silent Hill de Christophe Gans) et le raté (l'imagerie "champ de blé" du paradis et sa mièvrerie plutôt atroce). Un peu dommage quand on connaît le talent de Peter Jackson pour fabriquer des mondes... Mais condamner entièrement Lovely bones pour ces raisons serait oublier injustement deux choses : d'une part, que tout est vu à travers les yeux de la gamine, ce qui explique l'infantilisation parfois pénible du film (d'ailleurs, Susie elle-même se détourne souvent de ce paradis trop beau, au profit du monde gris des vivants) ; par ailleurs, que le périple macchabéen de Susie ne concerne qu'une partie réduite du film (un petit tiers du métrage, à tout casser). Condensées en quelques scènes marquantes mais distantes entre elles, ces interventions semi-divines se font même de plus en plus rare au fur et à mesure du récit : c'est flagrant dans le cœur du métrage, où Susie et toute son imagerie sont un peu mises de côté, voire carrément délaissées, avant de refaire surface dans le dénouement. Bref, assassiner Lovely bones en prenant ces seules scènes pour prétexte exclusif, c'est lui faire un faux procès et passer à côté des intentions plus modestes du film, pourtant barbouillées à gros traits : apprendre à vivre avec la perte de l'un des siens. Certes, Peter Jackson n'est pas le cinéaste le plus subtil de la planète, il hésite un peu trop entre boursouflure et sobriété, noirceur et douceur (une ambivalence parfaitement résumée par le titre, cela dit). Lovely bones ne constituera pas un pic dans sa grande carrière mais décroche sans peine, grâce à la puissance implacable de sa mise en scène, le titre de premier (demi-)coup de cœur de cette année 2010.

Lovely Bones

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D
Bonjour, même si je reconnais les qualités que tu trouves au film : la partie purement suspense criminel, je suis plus réservée sur les séquences oniriques de l'entre deux-mondes qui m'a paru un peu grotesque. J'espère que le roman est mieux. Bon samedi.
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P
Encore une fois, d'accord sur l'ensemble des points (Rachel Weisz me paraissant transparente), au point ou je ne trouve pas vraiment à y redire. Je crois que c'est l'avis le plus quasi exactement proche du mien. A ceci près que la pointe déception existe tout de même, cohabitant avec le coup-de-coeur avorté.
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